Comment battre Nicolas Sarkozy ?

Publié le par DA Six-Fours

Seule une opposition unie et élargie pourra contrecarrer les ambitions de Nicolas Sarkozy, qui prépare déjà activement la présidentielle de 2012.

 

Par LAURENT JOFFRIN


Les autres contemplent cette perspective avec effroi. Comment enrayer ce processus apparemment irrésistible ?

A cette question qui va désormais gouverner la vie politique française, il y a une réponse classique. Elle consiste à servir la vieille soupe dans une casserole neuve. On discuterait entre formations de gauche estampillées, on désignerait des candidats, et on repartirait comme en 2002 ou en 2007… L’ancienne Union de la gauche - ou feue la gauche plurielle - serait ainsi accommodée à la sauce nouvelle.

Placards. C’est un passeport pour la défaite. L’Union de la gauche, comme la gauche plurielle, était d’abord une union PCF-PS. Or il n’y a plus de PCF, et le PS est moins fort : où est la majorité qu’on cherche ? Les derniers Mohicans de la place du Colonel-Fabien regroupent sous leur drapeau mité moins de 2 % des suffrages. Quelle réserve un candidat de la gauche pourrait-il mobiliser de ce côté au deuxième tour d’une présidentielle ? Aucune. Quant aux voix d’un Olivier Besancenot, elles sont certes plus nombreuses. Mais ce jeune facteur de division récuse toute alliance de gouvernement. Rien n’est possible avec la gauche radicale qui poursuit d’autres rêves. Fantôme d’un passé révolu, l’Union de la gauche se déploie ainsi dans un espace politique trop étroit. Elle assure, en fait, la réélection de Nicolas Sarkozy. Maintenir l’orthodoxie, c’est maintenir la droite au pouvoir.

Il est en revanche une stratégie nouvelle qui inquiétera beaucoup plus l’Elysée. Ce n’est pas «l’alliance au centre», comme on le dit platement. C’est la constitution d’un espace politique, culturel et social neuf : la grande coalition de l’après-Sarkozy, rassemblée, non dans une combinaison d’appareils mais par un projet de rupture avec le libéralisme, les forces écologistes, les socialistes à l’ancienne comme Jean-Luc Mélenchon, le PS, les partisans de François Bayrou et même les gaullistes sociaux et républicains tentés par un Dominique de Villepin. De quoi s’agit-il ?

L’après-Sarkozy sera aussi, on peut l’espérer, un après-crise. Le cycle reaganien ouvert en 1980 s’achève dans la douleur. La classe dirigeante voudrait le prolonger pour maintenir ses privilèges. Elle se sert du sarkozysme à cet effet. Dans ces conditions, l’après-crise consiste surtout à rompre avec l’héritage libéral des années 80, à réinventer une politique qui ne soit pas un simple compromis socialo-centriste, mais une politique audacieuse, humaine, démocratique, où le marché est remis à sa place, où la liberté ne se résume pas à l’autonomie des individus mais s’incarne dans l’adhésion aux valeurs collectives, où le souci de la planète et celui de la justice l’emportent sur la déification de l’intérêt personnel. Une politique, en un mot, où les valeurs républicaines sont vivifiées par celles de l’altermondialisme. Ce projet ne sortira pas des placards grinçants de la rue de Solferino. Il se construira dans le débat public.

Rites. Les Verts, Mélenchon ? Fort bien, dira-t-on à gauche. Mais Bayrou ? Celui-là n’a pas ses papiers, il vient d’ailleurs, il n’a pas droit de cité. Vade retro centristas ! La chose n’est pas fausse. Bayrou a gouverné à droite, il est resté allié longtemps avec l’actuelle majorité, il est membre au Parlement européen d’un groupe hostile à la gauche. Et alors ? La question n’est pas de savoir d’où il vient mais où il va. Après tout, Mitterrand venait-il de la gauche pure et dure ? Depuis la présidentielle, Bayrou se situe dans l’opposition. Il suffit de lire son dernier livre : sa critique du sarkozysme est plus tranchante que celle du PS. Il se réfère à des valeurs humaines et sociales qu’on aurait aimé voir mieux illustrées par certains leaders socialistes. Solitaire et doté d’un certain panache, il a perdu dans son équipée son groupe parlementaire et toute perspective de participation au pouvoir avant 2012. Après les dernières législatives, les commentateurs politiques traditionnels - toujours lucides - le disaient fini, sans parti, sans argent et sans députés. Les mêmes le voient aujourd’hui comme un champion de la prochaine présidentielle.

Et surtout, Bayrou est antisystème. Pour les Français, il est un leader libre, qu’ils apprécient ou qu’ils détestent (à droite surtout), mais qui ne se confond pas avec l’establishment politico-économique où tant de socialistes se lovent avec délectation. Parti de gouvernement habitué aux ors et aux rites, posé sur l’axe horizontal droite-gauche, le PS a du mal à comprendre l’autre dimension, verticale, de la vie politique. La coupure droite-gauche est elle-même traversée d’une deuxième coupure, celle qui sépare le peuple et les élites. Pur produit de la gauche classique qui a du mal à s’imposer dans l’opinion, Martine Aubry ne saisit pas pourquoi ses meetings sont poussifs alors que Ségolène Royal, imprévisible, populaire et détestée par les élites, remplit les salles. C’est qu’Aubry est adoubée par les importants et les compétents alors que Royal touche le peuple.

Grimoires. De même Bayrou, solitaire, improbable, centriste reconverti dans l’insolence, ancien bègue maniant le verbe comme une épée, sorte de Démosthène des campagnes, est un franc-tireur qui a coupé les ponts avec l’establishment. Il pourrait devenir l’ennemi principal de l’Elysée en 2012. Il plaît surtout à gauche : notre sondage Libération-Viavoice (1) montre que les deux tiers de l’électorat du PS souhaitent un rapprochement avec le Modem. «Il veut prendre notre place», gémit le PS. Raison de plus pour se rapprocher de ses électeurs, idiot ! La discussion ouverte, publique, franche, sur le fond, telle que l’a proposée par exemple un François Hollande, qui reste le stratège le plus intelligent du PS, est une urgence. Les élections européennes l’empêchent provisoirement ? Certes. On peut commencer le lendemain…

La grande coalition de l’après-sarkozysme, républicaine, sociale et écologique, deviendra au fil du temps une nécessité, sauf à se résigner à la reconduction du président-monarque. Les peuples prennent conscience de la folie libérale qui nous a conduits à la crise. Ils veulent une alternative. Celle-ci ne se trouve pas dans les grimoires de l’ancienne gauche. Elle suppose une réinvention de la politique démocratique. La grande coalition de l’après-sarkozysme peut en être l’instrument.

(1) Sondage réalisé du 23 au 25 avril après de1 020 personnes.

 

Source : liberation.fr

Publié dans Forum

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